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silhouette, et affirmer que tel d’entre nous monte bien et tel autre mal, comme on le dit d’un cavalier.

Et il ajouta :

— En vérité, l’être harmonieux ne l’est jamais autant que quand il roule de la sorte, de ce mouvement monotone et simple. Ainsi, pour moi, vous êtes l’harmonie même, l’harmonie dans la grâce et dans la force et dans la persévérance. Vos jambes me font penser à tout ce qui est agile et léger, votre buste à tout ce qui est stable, ferme, inébranlable. Je vous regarde comme on écoute un rythme grave et doux. Vous êtes un beau vers sans fin, toujours le même et toujours renouvelé.

Elle lui sourit ingénument :

— Ne craignez pas de me gêner, Pascal, j’adore les compliments.

Alors il l’interrogea sur elle et sur ce goût des hommages qu’il avait souvent remarqué, et elle répondit :

— Oh ! est-ce instinct ou habitude ? je ne sais trop. Toute femme a besoin d’être admirée selon les mérites qu’elle s’attribue. Or ce pauvre Guillaume se soucie fort peu de ce besoin, chez moi. J’ignore même s’il me trouve à son gré. C’est pour cela sans doute que je cherche l’approbation des autres. Car, je l’avoue, je la cherche, leurs flatteries me sont devenues nécessaires, les jours où je n’en suis pas abreuvée sont plus vides. Et puis… et puis… je n’ai guère d’autres plaisirs…

Elle avait parlé tristement. Était-ce seulement les louanges qu’elle souhaitait ? Ne lui manquait-il pas, plus que l’admiration à laquelle avait droit sa beauté, des joies moins superficielles et moins banales ? Et dans la frivolité des flirts n’espérait-elle pas assouvir des instincts inconscients d’affection, de tendresse et d’amour ?

Il la soupçonna prête aux confidences et ne l’y voulut point inciter. Mais au courant des habitudes dissipées de Guillaume, il comprit nettement la vie de cette femme. Que de mélancolie et de révolte devait cacher sa belle humeur ! Il la devina grave et sentimentale. Il lui dit :

— Je suis votre ami, Madeleine.

Elle fut émue. Lui aussi, le son de sa voix le troubla. Il murmura :

— Non, pas votre ami, plus que cela et mieux que cela.

Ils s’arrêtèrent à la vue de deux bicyclettes couchées sur le bord de la route et qu’ils reconnurent pour celles de Régine et d’Arjols. On devinait une petite rivière au creux d’une gorge boisée. À travers les arbres ils descendirent, attirés par un bruit de voix où dominait le rire de Régine. Et soudain, parmi le désordre de grosses roches moussues et de pins farouches, ils l’aperçurent qui pataugeait dans l’eau, les jambes nues. Assis près d’elle sur une pierre, Guillaume la regardait.

— Viens voir, Madeleine, s’écria-t-elle, c’est plein d’écrevisses… ça me passionne… tenez… tenez… en voilà une…

Elle se releva triomphante, la bête entre ses doigts attentifs. Elle avait relevé sa culotte aussi haut que possible, roulant l’étoffe autour des cuisses, ainsi que les petites filles qui jouent au bord de la mer. Et de l’évasement accru des hanches, les jambes coulaient comme des sources de lait, s’effilaient comme des stalactites de chair, pures et délicates, toutes blanches et toutes rondes.

Madeleine observa Pascal. Il avait un air dur et mécontent. Mais il rencontra les yeux de son amie et il réussit à lui sourire.

Régine cependant continuait sa pêche.