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VICTOR, DE LA BRIGADE MONDAINE
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allumer une cigarette et en tirer quelques bouffées. Puis elle porta la main à sa nuque, comme l’autre soir, dégagea de ses cheveux une agrafe, et en la montrant :

« Vous voyez, monsieur, je l’ai retrouvée.

— Comme c’est curieux ! dit Victor en tirant de sa poche celle qu’il avait prise, je viens de la retrouver aussi… »

Elle fut interloquée. Elle ne prévoyait pas cette riposte, qui était un aveu, et elle devait ressentir l’humiliation de quelqu’un qui a l’habitude de dominer et se heurte à un adversaire qui relève le défi…

« Somme toute, madame, dit-il, vous aviez la paire. Comme il eût été dommage que les deux agrafes ne fussent pas restées en votre possession !

— Dommage, en effet, dit-elle, en écrasant le feu de sa cigarette contre un cendrier et en coupant court à l’entretien. »

Mais le lendemain elle rejoignit Victor à la même place. Elle avait les bras nus, les épaules nues, et un air moins réservé. Elle lui dit, à brûle-pourpoint et avec un accent très pur, à peine relevé de quelques intonations étrangères :

« Je dois représenter à vos yeux quelque chose d’assez bizarre, n’est-ce pas, et de fort compliqué ?

— Ni bizarre, ni compliqué, madame, répliqua-t-il en souriant. Vous êtes Russe, m’a-t-on dit, et princesse. Une princesse russe, à notre époque, est un être social dont l’équilibre n’est pas très stable.

— La vie a été si dure pour moi, pour ma famille ! D’autant plus dure que nous étions très heureux. J’aimais tout le monde et j’étais aimée de tout le monde… Une petite fille confiante, insouciante, aimable, spontanée,