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normal, et, examinant un à un les hommes et les femmes qu’elle connaissait, elle les soupçonna tous de trahison.

La voiture avait traversé Bon-Secours et contournait le Mont-Gargan. On longea sur la droite, accroché au flanc de la colline, un bois touffu que ceignait une haie éventrée de place en place. Un couple profita d’une brèche et s’enfonça sous les arbres. Lucie le suivit des yeux. Et il lui vint la vision rapide d’autres couples, innombrables, qui se perdaient ainsi dans des sentiers poétiques, ou se retrouvaient en tremblant dans le mystère d’une chambre. Sa visite furtive à Henriette, et les sensations éveillées par cette escapade, ressuscitèrent en elle. Puis son rêve devenant moins net, elle distingua confusément une femme et un homme, enlacés, qui s’en allaient entre deux épaisseurs de feuillages, vers une éclaircie lointaine où brillait du soleil. Et cette femme avait ses propres traits et sa démarche. Et elle perçut des sons d’amour que murmurait la voix timide de l’homme, dont les joues étaient mouillées de larmes.

Elle ne bougea pas le lendemain, comptant sur la visite de M. Bouju-Gavart. Elle lui en voulut de ne pas réaliser son désir. Un jour encore elle attendit. Mais elle brûlait d’une curiosité trop ardente et elle se dirigea vers la rue