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suspectait donc tout, qu’il dénonçait les inoffensives promenades de deux amies ? Rien ne l’arrêtait, qu’il déshonorait une femme sur la foi d’apparences menteuses ?

Elle croyait invinciblement à l’honnêteté d’Henriette. Pourtant elle dut elle-même avouer que son mari n’avait point apporté d’acrimonie dans ses attaques. C’était contre l’infortunée un déchaînement furieux de racontars. Des salons se fermaient devant elle. On ne lui rendait pas ses visites.

Cette sorte d’excommunication apitoya Lucie, et, avisant Henriette un matin, elle eut un élan généreux mêlé de curiosité, courut vers elle et lui dit, à bout d’haleine :

— J’irai vous voir tantôt…

Puis elle se sauva, laissant l’autre atterrée.

L’après-midi, un voile épais sur la figure, une pelisse noire et flottante lui cachant la taille, elle choisit les rues les moins fréquentées. Elle rasait les murs, regardait à ses pieds, et tâchait de s’imposer des allures banales et indifférentes.

« J’ai l’air d’aller à un rendez-vous », se disait-elle. Et l’idée qu’on l’en soupçonnait peut-être, lui causait un effroi plein de charme.

Il fallait se disculper vis-à-vis d’Henriette. Cela lui arracha un mouvement de franchise. Elle mit en avant l’interdiction de Robert, la