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Puis, en octobre, le jeune ménage s’installa définitivement à Rouen, et la vie commune, le tête-à-tête de tous les jours et de toutes les minutes, commença.

Il n’y eut pas de choc. Après de légères disputes, impuissantes à dégénérer en scènes, ils prirent conscience de leur bonne volonté mutuelle. La peur des querelles irréparables leur enseigna les concessions, et, d’eux-mêmes, sans efforts, ils se débarrassèrent de tout ce qui pouvait compromettre leur parfaite harmonie.

L’esprit conciliant et l’affection de Robert lui facilitèrent la tâche. Quant à Lucie, elle se laissait aller au charme de cette existence libre et mouvementée, en contraste si profond avec les mauvaises années de Dieppe. Puis le frottement des rapports quotidiens développa en elle une grande souplesse, jusqu’ici latente. Elle la tenait de son père, un débauché à qui son poste, grassement rétribué, d’administrateur dans une banque catholique, imposait une hypocrisie continue. Dès le début, elle usa de stratagèmes innocents pour sauvegarder la paix du foyer.

Ainsi, durant la foire Saint-Romain, Robert l’avertit qu’une femme seule ne devait pas s’aventurer au-delà de la place Beauvoisine, parmi les saltimbanques. Elle s’y risqua cependant. Une force la poussait, le besoin de braver un péril.