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supportant la lourde chaleur et les acres relents de la pièce close. Ils ne parlaient guère tous deux. Lui, la regardait de son regard bon. Et Lucie voyait sur son visage mobile le reflet de ses propres souffrances.

Aujourd’hui, c’était fini, l’ère des dures épreuves. Dès son arrivée à Nice, elle eut la certitude d’une guérison prochaine. Elle se conforma passivement aux ordres du médecin. Nulle hâte ne la pressait de sortir. Elle se contentait de vivre, elle qui avait cru mourir, et de vivre dans des conditions normales, sans tare physique, sans blessure irrémédiable.

Et la sensation de la vie, peu à peu, grondait en elle, comme une source prête à jaillir, non de la vie passée, énervante et fébrile, mais d’une vie végétative ou mécanique, la vie de ses organes en pleine fonction, de ses poumons au jeu régulier, de ses membres susceptibles de se mouvoir. Elle n’enviait pas ainsi qu’à Rouen les gens qui s’agitaient sous ses fenêtres. Bientôt elle marcherait comme eux, elle choisirait comme eux la place où il lui conviendrait de s’arrêter, et l’espace de terrain qu’il lui siérait de parcourir. Elle serait une personne comme une autre, pourvue de jambes souples, de reins solides, d’une santé résistante. Cet avenir lui paraissait le bonheur, et l’espérance de ce bonheur lui suffisait.