Page:Leblanc - Une femme, 1893.djvu/268

Cette page a été validée par deux contributeurs.


…Depuis deux heures, Lucie fouillait Saint-Sever et Sotteville. Un tout autre monde habite cette rive de la Seine, où fument les hautes cheminées des fabriques. Seul, d’ailleurs, l’y avait dirigée l’attrait d’une promenade parmi les petits boutiquiers et les artisans.

Sur l’eau bouillonnante des ruisseaux planait une buée chaude. De vieux et grands bâtiments tout en vitres tremblaient sous l’effort des machines à vapeur dont on entendait le halètement. Des fenêtres, il neigeait des flocons de laine ou de coton. Parfois des commis, installés à leur bureau, levaient la tête. Elle repassait en face et les fixait, un vague sourire aux lèvres. L’un d’eux lui envoya du bout de sa plume un baiser, audace qui la ravit. Elle longea le marché aux bœufs, les abattoirs, puis, enfilant un tas de ruelles, se rapprocha du Jardin-des-Plantes. Enfin, harassée de fatigue, elle prit un tramway.

Place Saint-Sever, un monsieur monta. De prestance martiale, la peau bronzée, le monocle à l’œil, il avait l’aspect d’un militaire en civil. Aussitôt il la lorgna avec une insistance telle qu’elle en fut flattée. Elle ouvrit sa jaquette, fit saillir sa poitrine, s’assit de trois-quarts, tournée vers lui, pose qu’elle estimait avantageuse à sa beauté. Une place étant libre auprès d’elle, il vint l’occuper. Leurs