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huit heures, nous lui expédions ses meubles.

Sa mémoire ne garda que de faibles vestiges des actes accomplis durant cette journée. Elle vagua par des rues populeuses, dans le quartier Martainville, où des gens la dévisageaient, — par des rues désertes, dans la cité Jeanne-d’Arc, où elle eut peur de la solitude.

Elle revint en ville, franchit le seuil d’une église, et, les deux genoux sur la dalle, dit un Ave Maria. La prière ne l’apaisant point, elle repartit. La nuit tomba. Une horloge sonna sept heures. Un fiacre eût pu la reconduire chez elle, avant son mari, elle n’y réfléchit point et força ses jambes brisées à une course vagabonde le long des quais. À huit heures, la faim la réduisit à se bourrer de gâteaux chez un confiseur. Enfin, place de l’Hôtel-de-Ville, elle se jeta dans un tramway.

Une dame qu’elle connaissait, une voisine, lui adressa des questions. Elle l’examina d’un œil impassible et ne répondit pas. À la lueur d’un réverbère, elle aperçut son mari. Il attendait. En une seconde elle récupéra tout son sang-froid. Sa situation critique lui apparut nettement. Il fallait un mensonge péremptoire. Elle le débita.

— Mon pauvre ami, dit-elle d’un air confus, tu dois être d’un inquiet ! Figure-toi que je me suis embarquée dans une promenade du côté