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— Je vous en prie, interrompit-il, pas ici, ne me dites rien encore. Demain, chez moi, si vous voulez, vous me conterez vos embarras.

Il lui donna l’adresse et les indications nécessaires.

Elle fit pour ce rendez-vous une toilette méticuleuse : l’énormité de la somme n’effrayerait-elle pas M. Lesire ? Parfois aussi l’envahissaient des tristesses. Elle examinait dans la glace son pauvre corps qu’allaient salir d’immondes baisers. Elle le parfuma et l’orna ainsi qu’une victime sainte. Elle le considérait comme quelque chose d’étranger à elle, une sorte de martyr qu’elle menait au bourreau. Puérilement, elle, lui demandait pardon et tâchait de le consoler en lui expliquant la beauté de son rôle :

— Ne m’en veux pas, c’est pour lui, pour que tu ne sois pas privé de ses caresses.

Peu à peu, elle distinguait dans son acte un côté presque mystique. De vagues comparaisons la hantèrent, où se dessinaient les images effacées des antiques héroïnes. Sa conduite devenait grandiose. Elle se vendait par amour. Des poussées d’orgueil lui cambraient les reins.

Toute la matinée son exaltation se maintint au même niveau, et lorsqu’elle entra chez M. Lesire, ses yeux illuminés traduisaient un tel rayonnement intérieur qu’il en fut frappé.