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Pouvait-il exiger un tel sacrifice, séparer une mère de son enfant ? Non, il préférait piétiner son cœur…

Sans souci des gens qui l’entouraient, elle se précipita vers le Pont-de-Pierre et s’affala contre le parapet. Mais une courbe de la Seine lui cachait la Nevada. Un peu de fumée seulement voltigeait au bout de l’île Lacroix. Elle gémit d’un ton convaincu : « C’est horrible, horrible !… », et aussitôt chercha aux alentours un endroit favorable où exhaler ses sanglots et se tordre les mains. La masse noire du Cours-la-Reine la réclama.

Une avenue grandiose, plantée d’une quadruple rangée d’arbres, conduit de la ville, entre le fleuve et une voie ferrée, jusqu’à d’immenses plaines où paissent des troupeaux. La solitude y est absolue. Çà et là des bancs sont disposés. C’est sur l’un d’eux que Lucie essaya de souffrir.

Ses pleurs ruisselaient. Sa poitrine haletait. Elle s’égratigna d’un coup d’ongle. Le sang parut. Elle le suça. Une certaine vanité l’envahit à se sentir si malheureuse. Il fallait une passion bien implacable pour provoquer une telle détresse ! Elle savait donc enfin les irrémédiables catastrophes, les blessures et les déchirements, les séparations éternelles. C’était cela la peine des peines, la suprême torture. Une ère sombre s’ouvrait que seule peut-être clorait la mort !