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tachait le canot et lui, les rames molles, elle étendue, les yeux au ciel, ils s’en allaient à la dérive.

Ils édifièrent des projets. Leurs destinées n’était-elles pas indissolublement liées ? Gaston achèterait, près du fleuve autant que possible, une propriété d’où son yacht ou ses chevaux l’amèneraient à Rouen. Les environs de Croisset seraient plus commodes. En automne Lucie prolongerait son séjour chez les Bouju-Gavart. Des nuits elle le rejoindrait à bord. Sous la clarté de la lune ils s’adoreraient.

Tout de suite, cette propriété, ils la cherchèrent. Ils virent de jolis nids de verdure, avec des corbeilles multicolores, des guirlandes de clématite, des enchevêtrements de glycine et de chèvrefeuille. Ils virent des châteaux, avec de grands parcs, des pelouses onduleuses, de larges allées sablées et de petites allées fuyantes sous des arbres séculaires. La gentillesse des premiers plut à Lucie, mais la splendeur des seconds l’enthousiasma. Que décider ? Elle eut des insomnies où la tortura cette hésitation.

Sa vie désormais lui semblait fixée, à l’abri de toute vicissitude. Nul désastre ne l’atteindrait. Une pareille affection constituait une base suffisante à un bonheur solide. Elle vieillirait entre son mari et son amant, gardant son estime à l’un, son amour à l’autre. De quel œil paisible elle envisageait enfin l’avenir !