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ras si tu veux, je n’ai pas à en rougir et peut-être en profiteras-tu. Un jour, j’ai aimé, moi aussi ; l’homme était jeune, d’intelligence brillante, de cœur solide. Il était libre, moi, je ne l’étais pas… J’ai bien pleuré, j’ai cru que j’en mourrais…

Émue, Mme  Chalmin baissa les yeux, tandis que l’autre continuait de sa voix grave dont les notes tremblaient :

— C’est pourquoi je te pardonne, mon enfant. La lutte d’amour est rude à soutenir, la tentation difficile à repousser. J’ai triomphé parce que cela devait être ainsi, que mon caractère et mes penchants me donnaient des armes. D’autres comme toi, petite, c’est leur nature même qui les pousse ; celles-là, je les excuse et je les plains.

Puis à l’oreille de Lucie, elle chuchota :

— Seulement, vois-tu, quelque chose me déroute : tu ne l’aimes pas, n’est-ce pas ? tu ne peux pas l’aimer, lui ! Alors pourquoi ?

Assise au bord du lit, le buste plié en deux, les doigts crispés aux draps, elle épiait la parole prête à venir. N’admettant pas la possibilité d’une passion partagée, elle se demandait le mobile du crime. Et malgré sa bienveillance opiniâtre, elle avait des minutes de dégoût en s’imaginant l’accouplement de ces deux êtres.