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vilains corps, tant de lignes déformées, tant de maigreurs hideuses, tant de monstruosités, tant de malpropretés, qu’un dévêtement, même partiel, éteignait en lui toute ardeur. Ses sens, par une perversion vainement combattue, ne s’allumaient qu’auprès d’une femme habillée, coiffée, cuirassée d’une robe.

Lucie ne s’expliqua jamais sa conduite. Il demeura pour elle obscur, impénétrable. Plusieurs fois elle voulut l’interroger ; il semblait ne pas entendre, et elle y renonça. Ayant l’intuition vague de sa manie, elle ne s’offrit plus à lui. Des séries de jours passaient, vides, identiques. Puis subitement, sans raison appréciable, il la prenait.

Elle vécut à cette époque d’une vie délicieuse, non qu’elle aimât le docteur, ni qu’elle s’en crût aimée, mais il lui procurait d’ineffables sensations. Lui présent, elle frémissait dans l’attente et dans la crainte continuelles de son attaque. À certaines minutes, elle défaillait d’avance, sûre, à l’expression de son visage, d’être emportée, pétrie, violentée. Mais souvent aussi, il s’emparait d’elle à l’improviste, et c’était pour Lucie la plus exquise jouissance, cette agression brusque, au milieu d’un mot, alors que nul indice ne l’y avait préparée.

Il la quittait ensuite, sans un adieu, et elle restait là, longtemps, étourdie, ne comprenant