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toi, j’ai voulu me guérir. La cure a été lente, difficile, néanmoins j’ai réussi.

Elle ressentit une violente contrariété. Son amour-propre n’admettait pas qu’un homme épris d’elle secouât ainsi son joug en quelques mois. Elle se contint et minauda :

— Eh bien, tant mieux, vrai, ça me chagrinait, je préfère que nous redevenions bons amis comme autrefois. Nous nous reverrons souvent, n’est-ce pas ?

Il répliqua :

— Tant que tu voudras, maintenant.

De fait un matin il se présenta. Sa retraite l’avait rajeuni. Il portait haut sa tête blanche, au teint clair. Il s’enquit de René, se plaignit de l’hiver terrible qu’on avait traversé, et dont, plus qu’un autre, il avait subi la rigueur dans sa grande baraque mal close, dépeignit la campagne sous la neige, se vanta d’une excursion aventureuse sur la Seine gelée, et tout cela posément, avec une placidité qui exaspérait Lucie. Ensuite il demanda :

— Et toi, tu ne t’es pas trop ennuyée ?

— Je ne me suis jamais tant amusée, s’exclama-t-elle. D’ailleurs, à vous, parrain, je n’ai rien à cacher, figurez-vous qu’on m’a fait la cour ! Ce que j’ai dû subir de déclarations, et de tous les hommes, et partout, au bal comme en pleine rue !