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LES TROIS YEUX
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Nouvel accès d’hilarité, salut qui le courba en deux, et l’individu sortit. Le soir même, au cours d’une visite qu’il rendit au notaire, et le lendemain par l’entremise des journaux, il exposait hardiment ses revendications, qui, d’ailleurs, au point de vue du droit, furent admises comme absolument légitimes. Mais le surlendemain, il était convoqué chez le juge d’instruction et une enquête s’ouvrit contre lui.

Contre lui, c’est le mot propre. Certes, on ne put relever aucun fait à sa charge. Certes, il prouva que, malade, alité, soigné par une femme de ménage qui le gardait depuis un mois, il n’avait quitté son domicile de Toulouse que pour venir directement à Paris. Mais qu’avait-il fait à Paris ? Qui avait-il vu ? De qui tenait-il le manuscrit et la formule ? Sur toutes ces questions il ne lui fut pas possible de s’expliquer.

Il ne le tentait même pas.

— Je suis contraint à la discrétion, disait-il. J’ai donné ma parole d’honneur de ne rien révéler sur ceux qui m’ont livré les documents nécessaires.

La parole du sieur Massignac ! Les scrupules du sieur Massignac ! Mensonges, n’est-ce pas ? hypocrisie ? faux-fuyants ? Mais, tout de même, si suspect que fût le personnage, de quoi l’accuser et comment soutenir une accusation ?

Et puis, chose bizarre, les soupçons, les présomptions, la certitude que le sieur Massignac était l’instrument et le complice des deux criminels, tout cela s’évanouissait dans le grand mouvement de curiosité qui emportait le monde entier. Les habitudes de la justice, les précautions ordinaires, les atermoiements, les délais légaux qui retardent l’entrée en jouissance des légataires, rien ne fut observé. On voulait voir et savoir, et le sieur Théodore Massignac était l’homme qui tenait dans sa main le secret prodigieux.

Il eut donc les clefs de l’amphithéâtre, et il y entra seul, ou avec des ouvriers qu’il surveillait, dont il renouvelait les équipes afin d’éviter les complots et les machinations. Souvent il allait à Paris, dépistait les agents attachés à ses trousses, et revenait avec des fioles et des bidons soigneusement enveloppés.

À la veille de l’inauguration, la justice n’était pas plus avancée qu’au premier jour en ce qui concernait le sieur Massignac, ou la retraite du sieur Velmot, ou celle de l’assassin, ou celle de Bérangère. Sur le secret de Noël Dorgeroux, sur les circonstances de sa mort, sur les mots énigmatiques inscrits par lui au plâtre du mur, même ignorance. Quant aux visions miraculeuses que j’avais racontées on les niait ou on les acceptait avec la même vigueur et sans plus de motif d’un côté que de l’autre. Bref, on ne savait rien.

Et c’est pour cela peut-être que les mille places de l’amphithéâtre avaient été enlevées en l’espace de quelques heures. Émises au prix de cent francs, achetées par une demi-douzaine de spéculateurs, elles étaient revendues deux et trois fois plus cher. Si mon pauvre oncle avait vécu, quelle n’eût pas été sa joie !

La nuit qui précéda le 14 mai, je dormis mal, obsédé de cauchemars qui me réveillaient en sursaut. Aux premières lueurs de l’aube, j’étais assis sur mon lit, lorsque, dans le grand silence que troublaient à peine quelques cris d’oiseau, il me sembla entendre le bruit d’une serrure qui grince et d’une porte que l’on pousse.

Je dois dire que, depuis la mort de mon oncle, j’habitais près de la chambre qu’il occupait. Or le bruit venait de cette chambre, dont je n’étais séparé que par une porte vitrée, recouverte d’un rideau d’andrinople. Je prêtai l’oreille. Un craquement de chaise déplacée parvint jusqu’à moi. Il y avait