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LES TROIS YEUX
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Un hasard extraordinaire nous favorisa. Un cantonnier du Bois de Boulogne qui travaillait sur la route du bord de l’eau, nous raconta que cette automobile, à propos de laquelle nous l’interrogions, il l’avait reconnue comme étant garée dans une remise contiguë à la maison qu’il habitait, de même qu’il avait reconnu l’homme au lorgnon comme étant un des locataires de cette maison !

Il nous donna l’adresse. C’était derrière le jardin des Batignolles, un vieil immeuble à l’aspect de caserne, où grouillaient d’innombrables locataires. Tout de suite, à la description que nous lui fîmes de l’individu que nous recherchions, la concierge s’écria :

— Vous voulez parler de M. Velmot, un grand bel homme, n’est-ce pas ? Voilà six mois qu’il habite ici en meublé. Mais il n’y couche que de temps en temps. Il voyage beaucoup.

— Il a couché cette nuit ? demandai-je.

— Oui. Il est revenu hier soir dans son auto avec un monsieur que je n’avais jamais vu, et ils ne sont repartis que ce matin.

— En automobile ?

— Non. La voiture est dans le garage.

— Vous avez la clef de l’appartement ?

— Dame, c’est moi qui fais le ménage.

— Conduisez-nous.

Cet appartement se composait de trois petites pièces, deux chambres et une salle à manger.

Pas de vêtements, pas de papiers. M. Velmot avait tout emporté dans une valise, comme à chacune de ses absences, nous dit la concierge.

Mais un dessin était épinglé au mur, qui, parmi plusieurs ébauches, représentait la figure des Trois Yeux, d’une façon si fidèle qu’elle n’avait pu être faite que par un témoin des visions miraculeuses.

— Allons au garage, dit l’un des agents.

Pour l’ouvrir, il fallut l’assistance d’un serrurier. Outre le cache-nez et le vêtement taché de sang, nous y trouvâmes deux autres cache-nez et trois foulards, abîmés et tordus. La plaque d’identité de la voiture avait été récemment dévissée. Le numéro, fraîchement repeint sur l’ancien, devait être faux. En dehors de ces détails, rien de particulier.

Je cherche à résumer aussi brièvement que possible les phases de l’enquête et de l’instruction. Pas plus qu’une aventure sentimentale, ce récit n’est une histoire criminelle. L’énigme des Trois Yeux et sa solution, voilà le seul objet de ces pages et l’unique intérêt qu’on y peut trouver. Mais, au point où nous sommes parvenus, il est facile de comprendre que tous ces événements se pénètrent si profondément qu’on ne saurait les isoler les uns des autres. Ceux-ci commandent ceux-là, lesquels à leur tour réagissent sur ceux qui les avaient provoqués.

Ainsi me faut-il répéter la question déjà posée. Quel rôle jouait Bérangère dans tout cela ? Et qu’était-elle devenue ? Elle avait disparu, soudain, aux environs de la chapelle. À partir de cet endroit, plus de traces, aucune indication. Et cette disparition inexplicable terminait une série de semaines où, avouons-le, la conduite de la jeune fille pouvait sembler bizarre aux yeux les plus indulgents.

Je le sentais si bien que, tout de suite, j’affirmai énergiquement au cours de mes dépositions :

— Elle est tombée dans un guet-apens et on l’a enlevée.

— Prouvez-le, me fut-il répondu. Justifiez les rendez-vous qu’elle a eus tout l’hiver avec celui que vous appelez l’homme au lorgnon, c’est-à-dire avec le sieur Velmot.