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chauffeur l’adresse de Frédéric Fildes ou l’adresse du journal, elle donna son adresse à elle, comme une bête blessée qui se réfugie en son gîte.

Elle se sentait soudainement, atrocement faible, lasse à mourir. Elle voulait se coucher, dormir… oublier ce drame qu’elle pressentait, ce drame qui, à présent, était accompli et auquel elle ne pouvait plus rien. Les événements étaient plus forts qu’elle.

Elle dormit mal, d’un sommeil coupé de cauchemars affreux et qui, au milieu de la nuit, fit place à une insomnie, où l’aventure lui semblait de plus en plus effroyable. L’épisode du portefeuille dérobé augmentait ses angoisses. Cependant, elle n’en tira pas la déduction logique qui eût dû s’offrir à son esprit, c’est-à-dire que, si le portefeuille avait été volé à Mac Allermy, cela n’avait pu avoir lieu que par la force. Non, elle était parfaitement consciente que Frédéric Fildes avait été la victime du Sauvage, mais, pas une seconde, elle n’eut de craintes au sujet de Mac Allermy ; elle ne devina rien, ne fut envahie par aucun pressentiment.

Sa stupeur fut profonde lorsque, le lendemain, dès son arrivée au journal, elle vit le tumulte des bureaux, l’agitation des salles de rédaction, et lorsqu’elle apprit que le patron avait été frappé d’un coup de couteau en plein cœur, dans une boutique de la place de la Liberté. La place de la Liberté ! C’était cela, la place aux arcades !

Elle se raidit pour ne pas défaillir, pour garder le silence. L’événement la bouleversait ; elle se sentait saisie des plus cruels remords. N’aurait-elle pu sauver Mac Allermy ? N’aurait-elle pu agir ?… Elle ne songeait qu’à cela, à sa responsabilité dans le crime commis !… Le reste, c’est-à-dire la façon dont la police avait été avertie, ce que les inspecteurs pouvaient savoir sur la boutique, sur le propriétaire de cette boutique, sur les réunions qui s’y tenaient, tous ces détails, qui furent connus plus tard, ne lui importaient pas en cette minute tragique où, comme une criminelle, elle se reprochait son inaction !

Elle lut pourtant tous les quotidiens du soir, qui, tous, relataient l’assassinat avec des renseignements différents, des commentaires variés et une documentation le plus souvent erronée sur la victime, personnage en vue, dont la mort tragique et mystérieuse causait dans le public une forte sensation.

Dans ces journaux, également, était relaté un autre crime sensationnel aussi, mais qui ne fut pas