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Il enfonça son chapeau sur sa tête, l’ôta pour passer devant la tigresse qu’il salua gravement et, au moment de sortir, se retourna vers Patricia :

« À bientôt, Patricia, vous êtes une enchanteresse. Auprès de Saïda, comme la belle domptant la bête, vous avez l’air d’une déesse antique… Et j’aime beaucoup les déesses ; je vous le jure ! À bientôt, Patricia ! »

Horace Velmont eut bien vite regagné Maison-Rouge. Victoire l’attendait dans le grand salon dont les portes et les fenêtres étaient prudemment fermées. En entendant le pas de son maître, elle accourut au-devant de lui.

« Rodolphe est là, tu sais ! s’écria-t-elle. La bête l’a ramené, et il doit déjà dormir.

— Comment t’es-tu comportée avec la tigresse ?

— Oh ! tout s’est passé très bien ! Nous ne nous sommes rien dit. D’ailleurs, j’avais préparé mes grands ciseaux de couture.

— Pauvre Saïda ! elle l’a échappé belle. Tu en aurais fait une descente de lit, hein ! Victoire ?

— Deux descentes, même. Elle est énorme, cette bête sauvage. Mais elle a l’air gentil.

— Un amour », approuva Velmont en riant.

« Maintenant, reprit Horace Velmont, j’ai à te parler de choses très graves, Victoire !

— À cette heure-ci ? s’exclama la nourrice étonnée. Ça ne peut pas attendre à demain ?

— Non, ça ne peut pas. Assieds-toi près de moi, là, sur le grand canapé.

Ils s’assirent. Il y eut un moment de silence.

Horace avait un air solennel qui impressionna un peu Victoire.

Il commença.

« Tous les historiens s’accordent à reconnaître que Napoléon Ier ne fut jamais aussi grand que dans les dernières années de son règne, et que son génie militaire atteignit son maximum au cours de la campagne de France en 1814. Ce sont les trahisons qui l’abattirent. Bernadotte, en se joignant aux ennemis, avait déjà entraîné la défaite de Leipzig. Blücher eût été anéanti si le général Moreau n’avait pas livré Soissons, et la capitulation de Paris n’aurait pas été possible sans les manœuvres de Marmont. Nous sommes bien d’accord, n’est-ce pas ? »

La vieille nourrice cligna les yeux avec une expression ahurie.