Page:Leblanc - Les Lèvres jointes, paru dans Le Journal et La Lanterne, 1897-1901.djvu/94

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je l’interrogeai du regard. Elle continua :

— Je vous connais à travers elle, je sais ce qu’il y a de délicieux et de passionnant dans votre aventure, mais la malheureuse en souffre trop… et je vous demande de la laisser.

— Moi, m’écriai-je, ne plus la voir !

Elle sourit. Et ce sourire, je le sentis, était plein de pitié pour moi. Qu’importaient mes protestations devant son inébranlable certitude de succès ! J’en fus tout troublé. Elle me saisit les mains et murmura :

— Je vous en prie, laissez-la, laissez-la… et tout ce que vous exigerez, je vous l’accorderai.

Oh ! de quel étrange ton elle disait cela ! et quelle infinie séduction émanait de la mystérieuse créature ! Sa grâce m’imprégnait et je tremblais de deviner le sens secret de ses paroles. Mais elle précisa :

— Ce que vous voulez d’elle, d’autres peuvent vous le donner, d’autres qui seraient semblables… plus belles même… ainsi, moi.

J’étendis les bras comme pour la repousser. En vérité j’avais peur, et j’eus soudain l’idée que cette peur était d’essence analogue à la peur qu’Odette avait de moi, une peur faite d’espoir, d’humilité de faiblesse. Qu’allait-elle faire, mon Dieu, qu’allait-elle faire ? Elle s’approcha, et son souffle baignait mon visage.

— Il n’y a pas de raison, disait-elle à voix basse, pour préférer une femme à une autre, si leurs formes sont identiques, si leur apparence est la même. Qu’aimez-vous en Odette qui ne soit en moi ? Son âme ? Mais connaît-on jamais une âme ?

Elle dit d’autres choses encore. Elle n’eût rien dit qu’elle m’eût convaincu pareillement, car sa présence seule faisait que je n’avais plus de volonté. Puis j’entendis qu’elle me parlait de son corps et qu’elle en proclamait la splendeur. Et je me bouchai les yeux. Mais je voyais, je voyais à