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merveilleusement avec la mienne. Comme moi, elle est grande, vigoureuse, de marche ferme, de corps souple et infatigable. J’en conclus que nos caractères devaient s’accorder, que la vie serait bonne auprès d’elle, et que nous suivrions d’un pas égal le chemin de nos destinées. Car, enfin, peut-on se juger autrement que sur des apparences, et la sagesse n’est-elle pas de s’y fier et de s’en remettre au temps pour découvrir la vérité de ceux à qui nous lions notre existence ?

D’ailleurs, ai-je le droit de rien reprocher à Nanthilde ? N’est-ce pas moi qui, par mes scènes et mon humeur soupçonneuse, rendis notre ménage insupportable ? Certes, ma chair fut déçue au contact de la sienne, et l’indifférence de son beau corps ne fut pas sans irriter mon orgueil d’éducateur et exaspérer jusqu’à la méchanceté mes exigences de mâle. Mais ne se montra-t-elle pas admirable de douceur, de résignation, de soumission ? Et rien, dans sa conduite, peut-il justifier la sorte d’attitude cruelle et implacable que je lui opposai après quelques mois de mariage ?

Pourtant, j’étais sans pitié. Je n’admettais pas qu’elle restât insensible à mes caresses. Je lui en voulais de sa froideur comme d’une offense volontaire, préméditée, sournoise. C’étaient des querelles furieuses et des injures abominables. Ma jalousie surtout la poursuivait obstinément. Au bal, il me semblait que son corps allait s’émouvoir au contact du premier venu. Un autre, plus habile que moi, plus aimé, ne jouissait-il pas en secret de cette merveille de grâce et de jeunesse ? N’était-elle pas, pour quelque rival, un instrument exquis de volupté, elle dont j’ignorais le moindre sourire de joie ?