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l’impression de pleurer et d’être la source de ces larmes. Elle se leva. Les larmes coulèrent le long de sa gorge et de ses bras, et de ses hanches, comme de la sueur. Et cela lui donna l’envie d’un acte précis. Elle marcha vers la fenêtre, franchit la barre d’appui, et se laissa glisser comme autrefois elle laissait glisser ses mains vers les baisers. L’eau fraîche baisa ses pieds, et ses jambes, et ses hanches, et sa poitrine, et tout son corps, et elle resta là longtemps, dans la fraicheur de la nuit, dans la fraicheur de l’aube.

Tout le jour, sa détresse fut affreuse. Elle sentait au fond d’elle une blessure irréparable. Une image obscène de l’homme s’interposait entre elle et le spectacle des choses, et lui voilait le regard aimant de son fiancé, la joie de son père, la gaieté de la petite église où les paysans avaient installé des fleurs en tapis et en guirlandes. Georges reçut sa main glacée. Au retour, sur le chemin qui borde l’étang, elle eut une crise de sanglots. Puis, jusqu’au déclin du jour, elle erra seule, parmi les plaines désertes.

Et, le soir, elle courut dans sa chambre et se jeta sur son lit avec des cris de désespoir. Et elle pleurait, elle pleurait de toutes ses forces, comme si elle eût voulu tremper les draps de ses larmes douloureuses.

— Gertrude.

Elle trembla d’anxiété.

— Gertrude.

C’était Georges. Il appelait au pied de la fenêtre. C’était Georges elle n’en douta pas.

Et ce fut immédiat, inexplicable, stupéfiant comme un miracle : une grande joie l’envahit, une joie ardente et irrésistible qui passa sur son âme. C’était Georges, l’époux adoré, le maître attendu.