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Là, je m’en souviens, j’ai fait un geste hypocrite d’étonnement, d’admiration. Mais mon cœur battait sincèrement. Et le sien ! Oh ! comme il devait battre !

Il y avait encore un certain nombre de marches, pratiquées dans la pierre. Je les montai lentement, le front courbé. Et alors je mis le pied sur la terrasse où elle se tenait.

Nous étions à dix pas l’un de l’autre. Je la regardai. Elle me regardait aussi, toute droite. Vraiment, à compter de cette minute, il n’y eut plus de ma part la moindre comédie. J’agis avec toute ma foi, avec l’élan irréfléchi de mes meilleurs instincts.

Elle ne me parut pas belle, elle portait une méchante robe qui accentuait l’inélégance de sa taille. Mais sa figure était d’une douceur infinie et d’un charme que je ne puis encore comprendre. Et je la vis peu à peu devenir toute pâle. Et jamais je n’ai observé sur un visage une telle expression d’angoisse et d’espérance.

Je m’avançai. Elle tomba sur un banc, défaillante. J’allai m’asseoir à ses côtés.

Devant nous s’ouvrait l’espace merveilleux, l’espace adorable où se meurent les collines pleines de grâce, les forêts profondes, les plaines qui ondulent, les horizons qui s’entrelacent, toute cette beauté des choses qui suffit à assouvir nos élans les plus religieux.

Le soleil se couchait. Nos yeux suivaient sa descente visible. Oh ! comme je la sentais vivre ! Auprès de celles que j’ai le plus aimées, dans l’ardeur de nos étreintes les plus violentes, jamais, jamais je n’ai senti mon âme plus intimement liée à l’âme d’une femme, la vie d’un être plus mêlée à la vie de mon être.

Je pris sa main. Elle eut un long tremblement qui s’apaisa comme l’agonie d’un écho. Puis, je l’entourai de mon bras, j’appuyai sa tête sur ma poitrine. Le soleil disparut. Le ciel devint rouge,