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Ensuite, il me désigna l’autre, une petite femme ronde, remuante, la figure encombrée de boucles d’un blond trop ardent.

— Madame Saint-Léger, ma mère.

Était-il fou ? Se moquait-il de moi ? ou bien, à l’égard de l’une ou de l’autre, ce nom de mère était-il simplement une de ces appellations affectueuses que l’on a pour une tante ou une vieille amie ? Quoi qu’il en soit, à peine à table, les deux mères se mirent à disputer entre elles sans la moindre vergogne. C’étaient des pointes ironiques, des reproches, des blâmes, une petite guerre ininterrompue à propos de choses si insignifiantes qu’il me serait impossible d’en citer une seule. J’étais fort gêné, et, après quelques essais timides pour entamer la conversation, j’avais résolu de garder le silence. Quant à Louis, très calme d’abord, il s’interposait de temps en temps avec une indifférence résignée, disant à l’une ou à l’autre :

— Allons, maman, tais-toi.. sois raisonnable… laisse-la dire…

Mais tout à coup, à la fin du repas, comme les deux mégères s’oubliaient jusqu’à proférer des injures, il se leva, pris d’une rage subite, saisit Mme Lieuvain par le bras et la poussa vers la porte de droite en criant :

— Toi, maman, fais-moi le plaisir de déguerpir.

Puis ce fut le tour de Mme Saint-Léger d’être expédiée sans plus de cérémonie.

— Et toi, maman, file de ce côté.