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Ma mère me saisit le bras :

— Comme c’est beau, n’est-ce pas ! Par quel phénomène inexplicable subissait-elle le charme de ce spectacle ?

Il y eut une halte. Puis on se remit en chemin. Une longue côte nous conduisit sur un plateau, parmi d’âpres collines, dans des paysages magnifiques et imprévus à l’aspect sauvage, aux horizons infinis, comme en offrent les régions les plus convulsées. Et soudain, un autre village nous apparut. Il se cachait au creux d’une vallée merveilleuse qu’entourent de véritables montagnes. La rivière l’enlaçait comme un collier, et c’était, dans le fond, un fouillis de verdure et de prairies, tandis que la croupe des monts s’arrondissait, sans un arbre, toute rose de bruyères en fleurs.

Ma mère balbutia :

— Saint-Léonard… Oh ! je me rappelle…

Nous descendîmes la côte. Un pont la termine. Elle dit :

— C’est là à cet endroit… les roues de la diligence se sont brisées… alors, le conducteur nous avertit qu’il faudrait passer la nuit à l’auberge… Allons-y, ce doit être la même.

C’était la même, une auberge sordide où l’on nous prépara deux mauvaises chambres. Après que nous eûmes pris quelques aliments, ma mère m’entraîna :

— Viens… nous allons faire la promenade que j’ai faite… ce jour-là… à la même heure… viens…

Elle n’a plus rien dit, plus rien avant la chose terrible. D’ailleurs, quelles phrases aurais-je pu entendre dans le tumulte des sensations qui se ruaient en moi, à mesure que nous avancions ? Le sentier s’élevait parmi des splendeurs et des grâces incomparables. Je me sou-