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— Pleure, mon amant, pleure.

Il pleurait à larmes abondantes, et elle disait :

— Pleure bien, pleure ton ami de tout ton chagrin et de toute ton amitié. Mais pleure-le sans remords. Je n’en ai pas, moi, je n’en ai jamais eu. Nous avons fait pour lui tout ce que nous pouvions faire et ainsi tout ce que nous devions faire. Pendant quinze ans, pour que son cœur d’ami ne soit pas brisé comme son cœur d’époux, tu as subi la torture de le voir malheureux et d’assister au chagrin que nous avions causé… Va, mon ami, tu as fait ton devoir, et plus que ton devoir…

Il leva vers elle son triste visage et prononça :

— Et toi, Geneviève, toi qui depuis quinze ans restes ici enfermée, prisonnière, seule tout le long des jours, seule des années entières !…

Ils se regardèrent avec orgueil, fiers d’eux-mêmes et de leur noblesse. Geneviève avait des cheveux presque blancs et le teint d’ivoire de ceux que ne baigne jamais l’air du dehors.

— Ah ! Geneviève, balbutia-t-il, comme nous nous aimons ! Notre amour est au-dessus de toutes les infamies… Je t’aime plus que ma conscience.

Ils se sentirent les esclaves de quelque chose d’infiniment grand qui les mettait en dehors des conditions ordinaires de la vie. Le devoir change suivant les êtres. Leur devoir était de s’aimer, et ils s’aimaient.

— Geneviève, dit-il, tu es libre maintenant, ta prison va s’ouvrir.

Elle secoua la tête gravement :

— Non, Geoffroy, non, il ne faut pas que son honneur soit souillé, même après sa mort. Il faut que nul ne sache notre faute. C’est la rançon de mon crime, et je n’ai pas le droit de m’y soustraire. Et puis, je suis morte. Ma tombe est ici. Que j’y reste ensevelie.