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Vers l’âge de trente ans, Tristan rencontra chez des voisins une jeune fille dont la grâce naïve le séduisit. Il l’aima. Geneviève se soumit à son amour. Le mariage eut lieu.

Ce nouvel état de choses n’apporta nul changement à l’existence des deux amis. Il ne leur parut point que le moindre élément de gêne se fût glissé entre eux. Avec l’ami de son mari, Geneviève se montra douce, affectueuse et naturelle, et Geoffroy d’Ecajeul n’opposait à cette cordialité ni raideur, ni jalousie. Tous les soirs, comme auparavant, il montait au château de Caorches. Des heures amicales s’écoulaient au coin du feu ou au clair des étoiles. Et, de la sorte, il se passa trois années.

Un après-midi, comme ils rentraient de la chasse, Tristan trouva sur la balustrade du perron une lettre où il reconnut l’écriture de Geneviève. Il lut :

« Je m’en vais. Tu ne me reverras jamais. Pardon. »

Il tomba sans connaissance dans les bras de son ami.

Durant deux semaines, il fut entre la vie et la mort, et durant quatre autres semaines, il dut garder le lit. Geoffroy s’installa près de lui, ne le quitta pas une minute, et le sauva. Mais, craignant toujours que son désespoir ne le poussât à quelque résolution funeste, il demeura six mois encore au château de Caorches. Enfin, pour le distraire, il l’emmena. Et ce fut à travers l’Europe un minutieux voyage de trois années où ils fouillèrent chaque pays, espérant que le hasard d’une rencontre ou d’une conversation les mettrait sur la piste de la fugitive. Mais les jours s’écoulaient et chacun d’eux ajoutait un peu d’ombre à la nuit