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Il ne s’agissait pas seulement de t’apprendre la vérité, Marthe, je voulais m’occuper de toi et assurer ton bonheur. Or, je ne le pouvais pas : M. Dudouy était entre nous. Autrefois, sache-le, il a presque deviné notre secret, à ta mère et à moi. C’est pourquoi il ne t’aimait pas, c’est pourquoi il se défiait de moi, refusant mon aide et inquiet de mes visites. Que pouvais-je pour toi ? Rien. Oh ! ce que j’ai souffert ! Je te voyais malheureuse, triste, opprimée par cet homme comme le fut ta mère, lui servant de domestique, usant ton existence à des travaux de mercenaire, sans gaieté, sans espoir. Et j’étais impuissant ! Quel supplice, ma pauvre Marthe ! Que faire ? Lui avouer tout, à cet homme ? Je n’ai as eu la force de briser sa vie… C’eût été odieux. Alors… l’idée m’est venue… j’ai senti mon devoir… relis la lettre de ta mère : « Tout ce qu’il fera sera bien fait, tout. » Les choses se sont arrangées toutes seules. Ma demande, comme je m’y attendais, a détruit tous les soupçons de M. Dudouy, et, toi, tu as eu confiance.

Elle le regardait, étonnée d’une tendresse si nouvelle et si délicieuse. Elle lui dit :

— Et maintenant ?

— Et maintenant, s’écria-t-il d’un air de triomphe, nous allions nous occuper de ton bonheur, nous allons chercher celui qui t’aimera et que tu aimeras. Il existe quelque part. Ah ! je saurai bien le trouver, et c’est moi qui te l’amènerai, Marthe.

— Et alors ?

Il lui prit les mains et gravement :

— Alors, je te rendrai libre.

— Comment ?

— Je suis vieux, Marthe…

Elle se jeta dans ses bras avec épouvante.

— Tais-toi, tais-toi, père… À ce prix-là, jamais… tu vivras… je n’aimerai personne… nous serons heureux…

Il la serra contre lui.