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La Haine



Il y avait huit jours que j’habitais ce curieux village limousin, quand à la table d’hôte de l’auberge quelqu’un s’écria :

— Tiens, ces demoiselles d’Archignat, regardez donc !

Cela devait être un événement, car tout le monde courut à la fenêtre. Je suivis les autres et j’aperçus deux vieilles filles assez pauvrement vêtues, qui marchaient en se tenant par le bras. Je ne notai rien de particulier dans leur visage insignifiant, ni dans leurs allures de petites personnes très simples. Aussi leur histoire, que l’on se hâta de m’apprendre, me frappa-t-elle d’autant plus.

Elle se résume en quelques mots. Quarante ans auparavant, les deux sœurs devenaient orphelines et héritaient, pour tout bien, d’un misérable château situé à quelques kilomètres. Elles avaient bonne mine à cette époque, dit la légende, et pouvaient plaire au plus difficile. De fait, un gentilhomme du pays, Jean du Favouet, s’éprit de l’aînée, Mlle Gilberte, la demanda en mariage et fut agréé. Ils s’aimaient, parait-il, éperdument.

Or, la veille du jour fixé pour les noces, on trouva dans l’étang qui baigne les murs du château le cadavre de Jean du Favouet percé de trois coups de couteau. Le juge d’instruction arriva et hautement, froidement, sans larmes ni reproches, Gilberte accusa du meurtre sa sœur Enguerrande.