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Ils rentrèrent dans l’ombre triste, le long des falaises. Une barque les croisa, des amoureux qui se tenaient enlacés. Madeleine gémit :

— Vous ne m’aimez plus, Jacques.

Il lui entoura le cou de son bras et la pressa. Il était calme maintenant. Il lui dit gravement :

— C’est justement parce que je vous aime, Madeleine.

Après un silence, il reprit :

— J’aime pour la première fois, je m’en suis aperçu soudain. Avec les autres, je me donnais l’illusion de l’amour. C’étaient des instruments dont je jouais. Vous, je vous aime, et c’est pourquoi j’ai horreur d’être ici avec vous… Allons-nous-en.

— Allons-nous-en… tout à fait ?

— Oui, Madeleine, tout à fait… je commettais contre l’amour des fautes dont je m’aperçois maintenant que je vous aime. Ne me demandez rien encore… je n’ai pas le droit de vous aimer ici… Nous nous en irons, cette nuit même, n’importe où, dans quelque auberge de campagne, quelque part où je n’aie jamais été… et demain vous serez à moi. Je veux que notre chambre soit laide et le paysage banal. Nous fuirons les couchers de soleil et les clairs de lune. Ceux qui aiment n’ont pas besoin de beaux décors… Madeleine, toute la beauté du monde est en vos yeux. Allons-nous-en d’ici, car je vous aime…