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n’étaient plus ses yeux, ni sa bouche, ni son front, ni ses joues. C’étaient de l’épouvante, de la détresse, des trous de douleur, des muscles convulsés comme avec des pinces de bourreau. Et il se taisait, et il ne remuait toujours point. Et, plus que tout, ce silence et cette immobilité dégageaient une atmosphère d’horreur et de tragique effroyable. Il lui semblait qu’elle le verrait toujours ainsi, pétrifié dans cette pose et dans cette expression de damné.

Elle eut pitié de lui. Comme il l’aimait ! Comme il souffrait ! elle fut sur le point de s’écrier :

— Mais ce n’est pas vrai, mon chéri, je te jure que ce n’est pas vrai !

Non, pas encore, Il fallait voir avant tout. Qu’allait-il dire ? Qu’allait-il faire ? Il ne pouvait rester sans parler et sans agir, Elle balbutia :

— Je te demande pardon… une minute d’oubli… je ne l’ai pas revu… je ne le reverrai jamais… je l’exècre…

Il se taisait. Il ne bougeait pas. Ah ! le malheureux ! quelle souffrance ! Elle en eut les larmes aux yeux, et volontiers elle l’aurait pris dans ses bras et consolé comme un petit enfant. Elle apprit que, elle aussi, l’aimait de toutes ses forces et de toute sa tendresse. Les meilleurs instincts s’éveillaient au contact de ce désespoir. Elle se sentit très bonne, très douce, très maternelle.

Et vraiment cela lui devenait douloureux à son tour de prolonger cette épreuve. De petits remords la taquinaient. Elle allait parler, pour qu’enfin il ne la regardât plus de la sorte, et qu’il sourit, et qu’il fut heureux. Mais elle se retint encore, toute pantelante de curiosité. Elle était avide de tout