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Elle en eut une émotion délicieuse. Il était donc entre ses mains comme une petite bête misérable et douloureuse qu’elle pouvait à son gré libérer ou anéantir ? Mais alors que dirait-il, que ferait-il, si, au lieu de ces allusions vagues et insignifiantes, il entendait tout à coup l’aveu d’une trahison, si elle imaginait le récit d’une faute quelconque, d’un abandon entre les bras d’un homme, si elle lui donnait des détails, des preuves ? Et l’envie lui vint, l’envie cruelle de savoir ce qu’il dirait et ce qu’il ferait, de voir comment l’épouvantable souffrance lui tordrait le visage, comment il se comporterait, quels gestes il accomplirait, jusqu’à quel point il serait meurtri, déchiré, abimé. Le jeu la sollicitait. Que dirait-il ? que ferait-il ? Incertitude captivante…

Elle s’assit devant lui, presque à ses pieds, prit ses mains, baissa la tête et, d’une voix humble et grave, où tremblaient de la honte, des remords, de la peur, elle murmura :

— Oh ! si tu savais…

— Parle, parle, s’écria-t-il avec égarement.

— Eh bien… écoute… Oh ! je n’oserai jamais… Pourtant je ne pourrais pas vivre ainsi… avec ce souvenir… Écoute… ce n’est pas de ma faute… je ne sais pas comment ça s’est fait… Cet homme, je ne l’aime pas… Il ne m’aime pas non plus… Et, l’autre soir… avant-hier… il m’a prise…

Elle se cacha la tête entre les mains, et elle répétait tout bas :

— Il m’a prise… ici… dans cette pièce… là où tu es assis…

Une angoisse inexprimable la courbait. Elle s’attendît à un événement extraordinaire. Il allait la battre, la piétiner, la tuer peut-être. Mais, comme il ne bougeait pas, elle leva les yeux sur lui.

Elle resta confondue, comme si elle se fût soudain trouvée en face de quelqu’un qu’elle ne connaissait pas, qu’elle voyait pour la première fois, Elle n’aurait jamais cru qu’un visage pût être changé de la sorte. Ce