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d’eux n’eut, une seule seconde, la sensation que l’autre fût celui à qui il s’était confié. C’était un être nouveau, mais l’ami de sa pensée, l’élu de son âme, non, mille fois non.

Il lui prit les mains brusquement et, les yeux dans les yeux, il l’appela : « Armande, Armande ! » comme s’il eût espéré la découvrir au fond de ses yeux, l’autre Armande, celle de son rêve, celle qui n’avait pas de forme. « Armande, Armande ! » Mais il l’abandonna soudain se jugeant aussi ridicule que s’il avait pris entre ses mains la tête d’une dame quelconque pour lui crier son nom en plein visage.

Alors, ce fut fini. Ils comprirent que rien ne pouvait plus les unir et qu’impuissantes à prononcer de douces paroles, leurs bouches non plus ne se joindraient jamais. Leur espoir agonisa dans le silence et dans la tristesse. Et dessus, comme des pelletées de sable, ils jetèrent des mots, Philippe surtout que stimulait son métier de psychologue.

— Oh ! Armande, j’ai beau savoir le secret de vos pensées, votre apparence, elle, m’est nouvelle, et je vous regarde comme une personne que je ne connais pas. Il m’est impossible de sentir que l’âme que je connais soit ici, devant moi, dans cette forme inconnue. Vos yeux, votre front, vos cheveux sont des spectacles inattendus. Ce n’est pas Armande à qui je parle, ce n’est pas elle que j’entends, je ne vous connais pas.

— Hélas ! murmura-t-elle, pourquoi avons-nous détruit notre rêve ?

— Et puis, en vérité, s’écria Philippe, qu’espérions-nous ? Que nous nous jetterions dans les bras l’un de l’autre comme des amoureux ? Fous que nous étions ! Mais l’amour, c’est d’abord, et avant tout, le désir des corps, c’est cela et pas autre chose… Le reste, l’harmonie des âmes, l’analogie des goûts et des aspirations, ce n’est qu’un tas d’ornements, d’excitations, de supercheries.