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Trois jours après, il recevait une autre lettre. L’inconnue donnait son nom : Armande ; son âge : trente-deux ans, et racontait sa vie nettement sans restrictions, disant son mariage, plusieurs aventures inachevées, puis ses deux amours, l’un pour un homme qui ne l’aimait point et qui la trahit, l’autre pour un homme qui l’aimait et qui la trahit également — tout cela narré d’un air d’ironie douloureuse, et écrit au courant de la plume, par quelqu’un que n’offusquaient pas outre mesure deux ou trois fautes d’orthographe.

Philippe, dont on connait cependant le caractère défiant et les principes de prudence, céda à un mouvement de sympathie irraisonnée, à un besoin d’expansion qu’il ne s’expliqua jamais et dévoila son âme, ses goûts, ses habitudes, ses aspirations, tout ce qu’il savait de lui et un peu de ce qu’il n’en savait pas.

Et la correspondance s’établit de la sorte. Elle fut régulière et très fréquente. Il leur fallut peu de temps pour se confier les moindres détails de leur passé, ceux mêmes qu’ils n’eussent pas avoué à leur plus intimes amis — mais les secrets semblent se perdre dans le mystère des lettres comme des paroles jetées à l’abîme, et l’on se livre avec une sorte d’ivresse. C’est se parler à soi que de parler à qui l’on ne voit, ni connaît. Ils se parlèrent à cœur ouvert, à vie ouverte, en s’efforçant de ne jamais mentir et en répondant avec loyauté aux questions qu’ils se posaient l’un à l’autre.

Ainsi Armande et Philippe se connurent aussi bien que l’on peut se connaître. Leurs âmes, en sympathie d’abord se prirent d’affection, puis de tendresse. Elles se comprenaient merveilleusement et Philippe se sentait moins près de sa maîtresse actuelle alors même qu’il était dans ses bras, qu’il ne sentait près d’Armande quand il lisait une de ses longues lettres.