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La Misère des laides



Il avait le don mystérieux de plaire aux femmes. Cela résulte d’un ensemble inexplicable de qualités et de défauts qui varient selon chaque individu. Rien n’est moins précis. Deux hommes peuvent plaire, dont l’un est doux, enveloppant et câlin, l’autre irrespectueux, impatient et brutal. La femme n’a pas de préférence, pourvu qu’on l’oblige à se donner.

Il eut ainsi les plus belles et les plus fameuses, les plus honnêtes et les plus faciles. Il eut toutes celles que son caprice élut. Y a-t-il jouissance plus infinie ? Les femmes, ces miracles de grâce et d’harmonie, ces créatures divines en dehors desquelles il n’y a pas de volupté, les avoir toutes, être libre de choisir, parmi les blanches épaules et les gorges pures, les plus blanches et les plus pures, baiser les bouches les plus savoureuses, n’est-ce point le rêve suprême ? Ce fut sa réalité, à lui.

Et cette réalité demeura longtemps exempte de désillusion, car il ne goûtait point seulement des satisfactions orgueilleuses et des plaisirs égoïstes, mais aussi, et c’était la meilleure chose, il donnait de la joie. Il se lassa vite de conquérir, non de rendre heureux. Ce qu’il cherchait en grisant une femme avec la magie des paroles et des caresses, ce n’était pas tant la volupté ou l’affirmation de son pouvoir qu’un simple sourire de reconnaissance. Certaines lui disaient merci, certaines pleuraient d’émotion sous son regard ; à toutes, il