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Le Baiser de l’homme



C’était un être doux et chétif. Sa mère l’aima peu. Il n’eut pas d’amis. Et toute sa jeunesse se passa dans l’isolement des tristes et des timides.

Avec l’âge sa mélancolie ne s’accommodant plus du tumulte de Paris, Pierre se réfugia en une petite ville de province pour y commencer de mourir, car la vie ne lui offrait guère plus que ce but. Mais il rencontra une jeune fille dont l’âme sourit à la sienne. Et il l’aima.

Il aima sa joyeuse santé, la lumière de ses yeux et la candeur de ses paroles et de ses pensées. Après plusieurs mois d’hésitations douloureuses dont Jeanne ne connut le secret que plus tard, il lui avoua son amour et reçut l’aveu du sien. On les fiança. Selon leur convention, la première année du mariage s’écoulerait en un manoir que Pierre possédait en Bretagne.

Ils y vécurent vingt ans, heureux et solitaires. En vingt ans, ils ne virent personne, hors deux vieux domestiques qui suffisaient à toutes les besognes. Recommencées indéfiniment, les mêmes excursions les promenaient à travers la lande rousse et les bruyères roses. Surtout leur vie se restreignait dans l’ombre épaisse du parc ou dans la haute salle du manoir.

Ils furent heureux, se contentant de ce que la destinée leur donnait, l’intimité des