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— Il est curieux que l’on ne soit pas venu au devant de vous.

— Je n’ai pas annoncé mon arrivée.

Il sembla respirer, regarda autour de lui et murmura :

— Personne ne nous a vus… il n’y a pas de mal… suivez-moi.

Ses manières, ses paroles me déconcertaient. J’allais lui en demander la raison, quand il me saisit le bras et m’entraîna de force.

Tout de suite, nous quittions la rue principale pour gagner un labyrinthe de ruelles désertes qui nous mena du côté du mail. Sous les ormes, il hésita une seconde, puis me guida vers l’extrémité au haut d’un petit rond-point où l’on ne pouvait être surpris. Là, mettant ses deux mains sur mes épaules, il me dit :

— Vous aimez votre fiancée ?

— Oui.

— Eh bien, mon cher, si votre bonheur dépend de ce mariage, ne dites pas que je suis votre ami, ne prononcez pas mon nom, ne me saluez pas, que je sois pour vous un inconnu.

— Et pourquoi cela ?

— Parce que je suis ici l’objet du mépris le plus absolu, parce qu’il suffit de me parler pour être compromis, et que mes fournisseurs eux-mêmes ne sont pas très bien vus.

J’éclatai de rire. Il rit également :

— Que voulez-vous ? il faut me traiter comme si j’avais la peste.