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vérité. Un instant même, ils affectèrent l’ignorance, et leur entretien se renoua. Mais les mots se brisaient dans leur gorge. Et ils se turent.

On se leva. Il lui offrit son bras, et tandis que les assistants se répandaient dans les salons et se formaient par groupes, ils descendirent au jardin et s’assirent.

La nuit les enveloppait. Ils se distinguaient à peine, confondus avec l’ombre des massifs. Et sans doute pensèrent-ils que ce n’était point sans intention qu’ils avaient fui l’éclat des lumières. Et doucement, M. de Bergy, penché sur sa compagne, murmura :

— C’est vous, Régine ?

Elle ne put que balbutier :

— Oh ! Raoul… Raoul…

Le son des syllabes qui composait leurs noms les troubla délicieusement. Plus personne ne les appelait de la sorte, depuis qu’ils étaient vieux. Et cela leur sembla des mots d’amour, les mots d’amour les plus jolis et les plus ardents qu’ils se fussent jamais adressés.

M. de Bergy demanda :

— Comment se fait-il que mon nom ne vous ait rien rappelé, lors de notre présentation ?

Elle ne l’avait pas entendu. Et, comme il s’étonnait de sa propre erreur, elle lui apprit la mort de son premier mari et le second mariage qu’elle avait contracté quelques années plus tard. Elle ajouta en soupirant :

— N’importe, il est bien triste de ne pas s’être reconnus !

Ils eurent la vision désolante de leur vieillesse, de leurs infirmités et surtout du changement absolu de leurs visages. Le temps s’était abattu sur eux comme sur un champ de bataille. Pourtant Raoul protesta :