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Marie-Anne s’écria :

— C’est votre amour-propre qui se révolte, car enfin votre unique désir devrait être de m’avoir. Que vous importe qu’un autre me possède aussi ! Vous préfèreriez donc me perdre ?

Philippe dit simplement :

— Je vous aime.

— Moi aussi, fit Guillaume.

Elle répliqua avec une grande douceur :

— Je vous aime également, mes amis, mais que voulez-vous ? Aucun des deux ne peut me donner, à lui seul, ce que je demande à la vie. Est-ce ma faute ? J’ai un certain nombre de besoins qui veulent être satisfaits. Pourquoi en sacrifierais-je une partie ? C’est cette partie-là qui assurerait la plénitude de mon bonheur.

Elle dit, rêveuse :

— Le mal vient de l’étrange conception qu’on se fait de l’amour. Cela représente toujours quelque chose d’exclusif. Comment peut-on s’imaginer qu’un être réunisse précisément toutes les qualités qui correspondent aux besoins d’un autre être ? Pour chacun de vous, je représente un idéal complet. Tant mieux, mais, en toute conscience, l’un ou l’autre croit-il représenter mon idéal à moi ? Non, vous n’êtes tous les deux qu’une face de l’amour. Guillaume, j’ai besoin d’entendre les jolies paroles que vous ne savez pas dire, j’ai besoin qu’on plaise à mon intelligence autant, peut-être plus, qu’à ma chair. Mais aussi j’ai besoin de caresses, d’étreintes fortes, et vous ne pourriez pas me les donner, Philippe.

Elle se tut. Guillaume marcha sur elle, les poings crispés, le visage en désordre.