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— Est-ce nous que vous aimez ? est-ce lui ? Si c’est lui, dites-le, l’incertitude n’est plus supportable.

Ils en arrivèrent à beaucoup souffrir tous les trois. Les deux hommes se haïssaient mortellement. Elle ne trouvait auprès d’eux que reproches et plaintes amères.

Un jour, elle leur dit :

— J’ai pris ma résolution. Ce soir, nous nous réunirons, et je parlerai.


Ils vinrent, le soir, pâles d’angoisse, silencieux. Chacun attendait ses paroles comme un arrêt de vie ou de mort. Elle dit :

— Lequel des deux est-ce que j’aime ? je ne le sais pas plus qu’en arrivant ici. Quand je suis avec l’un de vous, c’est lui que j’aime, et, quand je suis seule, c’est tour à tour vous deux qui m’attirez sans que je puisse discerner celui qui m’attire davantage. Et c’est ainsi que j’ai acquis la conviction certaine, définitive, que je ne me déciderai jamais. Vous m’êtes, l’un et l’autre, indispensables. Alors, pourquoi l’un plus que l’autre ?… ou, plutôt, pourquoi l’un et pas l’autre ?

Ils ne comprenaient pas. Elle s’expliqua nettement.

— Eh bien, oui, j’y vois clair en moi, je connais ma nature, mes besoins, mes rêves, et je ne doute pas que, si je me donne à l’un de vous, je n’en arrive aussi à me donner à l’autre. Or, j’ai horreur du mensonge. L’hypocrisie m’exaspère. Je vous aime trop pour vous tromper. Voilà pourquoi je vous avertis en toute franchise que j’ai décidé de vous appartenir à tous les deux. Ma détermination est irrévocable, pour cette seule raison que toute autre serait vaine. Acceptez-vous ?

Ils la regardaient, interdits. Philippe sourit avec effort. Guillaume murmura :

— Vous êtes folle.