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« — Je te pardonne, lui dis-je.

« Et je clouai le cercueil consciencieusement. sans oublier un clou.

« L’enterrement eut lieu. Ce fut très triste, tu te souviens, Rodolphe. Ma douleur frappa tout le monde, une douleur muette, sans larmes. On la descendit au sépulcre. Moi-même je refermai la porte et j’emportai la clef dans ma poche.

« Telle est l’histoire de mon mariage. »

Il se leva et se mit à marcher en sifflotant, comme si l’aventure était terminée.

— Eh bien ? lui dis-je, un peu anxieux.

— Eh bien, quoi ?

— Mais la clef…

— Quelle clef ?

Il eut l’air de réfléchir, puis s’écria :

— Ah ! oui, la clef du tombeau… ma foi, j’avoue que j’ai été fort embarrassé. Figure-toi que je n’ai jamais pu mettre la main sur le papier où ma femme avait inscrit le nom de son amant. Avait-elle oublié cette formalité ? avais-je mal compris ? J’étais fort en peine… à qui envoyer cette maudite clef ? Je pensais du moins que la chose avait été entendue entre eux, et tous les jours j’attendais que le monsieur vint me réclamer sa maîtresse. Personne n’est venu…

Dans le grand silence, une sorte de râle passa. Je regardai Rodolphe. Il était blanc comme un linceul, et ses lèvres balbutiaient des mots inachevés. Alors j’eus l’intuition brusque de l’épouvantable vérité. Mais était-ce possible, mon Dieu, était-ce possible ? Hubert, cependant, s’était approché de lui et, doucement, lui disait :

— Qu’y a-t-il, mon bon Rodolphe ? Ah ! c’est vrai, je ne l’avais pas raconté cela. J’ai eu peur de te chagriner, tu l’aimais bien. aussi… et tu as été si gentil avec moi, me consolant, venant chaque jour mêler tes larmes aux miennes…