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Nous restâmes une longue minute à nous regarder, avec une émotion que je devinais aussi violente en elle qu’en moi. Des cheveux gris, des rides, des paupières bleuies, elle avait toutes les marques de son âge, et cependant quel charme encore en son visage las !

Elle prononça simplement :

— Me voilà, j’ai fini.

On aurait cru que nous nous étions quittés la veille et qu’elle m’annonçait la fin d’une entreprise quelconque, un peu fatigante peut-être, mais si naturelle et si agréable. Le temps d’aimer était fini. Elle avait eu des amants, le plus possible ; aujourd’hui, elle n’en avait plus envie, et elle le disait.

Nous échangeâmes quelques phrases, puis je lui demandai :

— Chère Christine, avez-vous été heureuse ? Êtes-vous contente de votre vie ?

Oh ! jamais je n’oublierai la clarté de son regard. Il s’illumina de joie et de franchise, et elle s’écria :

— Oui, je suis contente de ma vie, oui, j’ai été heureuse, si heureuse que je le serai jusqu’à la fin de mes jours.

Puis, tout bas, d’une voix ardente, elle me dit :

— C’est du bonheur qu’ils versaient en moi ; ce qui coulait dans mes veines ce n’était pas autre chose que du bonheur : la volupté n’est-ce pas un excès de bonheur ?

Alors sa vie m’apparut tout entière, ainsi que la leçon qui s’en dégageait, et