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berté et d’expérience m’a apprises et qui sont un obstacle insurmontable à nos projets.

Je l’interrogeai anxieusement. Elle répondit :

— Je ne vous aime pas comme on doit aimer celui à qui l’on consacre toute sa vie, et voici également ce que je tiens à vous dire, autant pour être franche que pour apaiser votre amour-propre : je n’aimerai jamais personne assez pour lui consacrer toute ma vie.

— Comment ?… Je ne vous comprends pas…

— C’est bien simple ; certains détails ont éveillé mes doutes, je me suis étudiée, je sais ce que je vaux, je sais ce que je ferai et, je vous l’affirme, quel que soit mon mari, il me sera impossible de lui être fidèle. Oh ! ne vous récriez pas ! Est-ce que vous me connaissez ? Moi, je me connais, j’ai senti la force qui m’attirait vers les hommes, j’en ai laissé s’approcher de moi, et rien que leur présence me trouble. D’abord, j’en étais toute honteuse, mais que voulez-vous ? C’est en dehors de ma volonté : j’ai des instincts qui me poussent, et je suis sûre qu’un jour ou l’autre, bientôt, je n’y résisterai pas… Le premier homme que j’aimerai… Le premier même… dont… j’aurai envie, je lui appartiendrai… je m’offrirai à lui…