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la voir avant que les choses ne prissent une tournure plus favorable, et, regagnant l’auberge du village, il lui fit porter ces quelques lignes :

« Très chère amie,

« J’ai cru comprendre en lisant votre lettre que, toujours émue par les choses du cœur, vous désiriez protéger les amours de Jérôme et de Natalie. Or tout permet de supposer que ce monsieur et cette dame, sans demander conseil à leur protectrice, se sont sauvés après avoir jeté Mathias de Gorne au fond d’un puits.

« Excusez-moi de ne pas vous rendre visite. Cette affaire est diablement obscure, et près de vous je n’aurais pas la liberté d’esprit nécessaire pour y réfléchir… »

Il était alors dix heures et demie. Rénine alla se promener dans la campagne, les mains au dos, et sans regarder le beau spectacle des plaines blanches. Il rentra déjeuner, toujours pensif, indifférent au bavardage des clients de l’auberge, qui, tout autour de lui, commentaient les événements.

Il monta ensuite dans sa chambre, et s’y était endormi depuis un temps assez long, lorsque des coups, à la porte, le réveillèrent. Il ouvrit.

— Vous !… vous… murmura-t-il.

Hortense et lui se contemplèrent quelques secondes, silencieusement, les mains dans les mains, comme si rien, aucune pensée étrangère et aucune parole ne pouvait se mêler à la joie de leur rencontre. À la fin il prononça :

— J’ai eu raison de venir ?

— Oui, dit-elle avec douceur… Oui… Je vous attendais…

— Peut-être eût-il été préférable que vous me fissiez venir plus tôt au lieu d’attendre… Les événements n’ont pas attendu, eux, et je ne sais trop ce qui va advenir de Jérôme Vignal et de Natalie de Gorne.

— Comment ! vous n’êtes pas au courant ? dit-elle vivement.

— Au courant de quoi ?

— On les a arrêtés. Ils prenaient le rapide.

Rénine objecta :

— Arrêtés… non. On n’arrête pas ainsi. Il faut les interroger d’abord.

— C’est ce qu’on fait à l’heure actuelle. La justice perquisitionne.

— Où ?

— Au château. Et comme ils sont innocents… Car ils sont innocents, n’est-ce pas ? vous n’admettez pas plus que moi qu’ils soient coupables ?

Il répondit :

— Je n’admets rien et ne veux rien admettre, chère amie. Cependant, je dois vous dire que tout est contre eux… Sauf un fait, c’est que tout est trop contre eux. Il n’est pas normal que tant de preuves soient accumulées, ni que celui qui tue raconte son histoire avec une pareille candeur. En dehors de cela, rien que ténèbres et contradictions.

— Alors ?

— Alors, je suis très embarrassé.

— Mais vous avez un plan ?

— Aucun jusqu’ici. Ah ! si je pouvais le voir, lui, Jérôme Vignal… la voir, elle Natalie de Gorne, et les entendre, et connaître ce qu’ils disent pour leur défense ! Mais vous comprenez bien que l’on ne me permettra ni de les questionner, ni d’assister à leur interrogatoire. Du reste, ce doit être fini.

— Fini au château, dit-elle, mais cela va se continuer au Manoir.

— On les emmène au Manoir ? fit-il vivement.

— Oui… du moins d’après ce que dit l’un des deux chauffeurs qui ont amené les automobiles du Parquet.

— Oh ! en ce cas, s’écria Rénine, tout s’arrange. Le Manoir ! Mais nous y serons aux premières loges. Nous verrons et nous entendrons tout, comme il me suffit d’un mot, d’une intonation, d’un clignement d’œil, pour découvrir le petit indice qui me manque, nous pouvons avoir quelque espoir. Venez, chère amie.

Il la conduisit par la route directe qu’il avait suivie le matin et qui aboutissait à la porte que le serrurier avait ouverte. Les gendarmes laissés en faction au Manoir avaient pratiqué un passage dans la neige, le long de la ligne des empreintes et autour de la maison. Le hasard permit à Hortense et à Rénine d’approcher sans être vus et de pénétrer par une fenêtre latérale dans un couloir où s’accrochait un escalier de service. Quelques marches plus haut se trouvait une petite pièce qui ne prenait jour, par une sorte d’œil-de-bœuf, que sur une grande salle du rez-de-chaussée. Lors de sa visite du matin, Rénine avait remarqué cet œil-de-bœuf, que recouvrait à l’intérieur un morceau d’étoffe. Il écarta l’étoffe et découpa l’un des carreaux.

Quelques minutes plus tard, un bruit de voix s’élevait de l’autre côté la maison, aux abords du puits, sans doute. Le bruit devint plus distinct. Plusieurs personnes envahirent la maison. Quelques-unes montèrent au premier étage, tandis que le brigadier arrivait avec un jeune homme dont ils ne virent que la haute silhouette.

— Jérôme Vignal, fit Hortense.

— Oui, dit Rénine. On interroge d’abord Mme de Gorne, là-haut, dans sa chambre.

Un quart d’heure passa. Puis les personnes du premier étage redescendirent et entrèrent. C’étaient le substitut du procureur, son greffier, un commissaire de police et deux agents.