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L’ouverture en fut plus difficile, et ce n’est qu’en l’ébranlant à coups d’épaule qu’il réussit à pousser l’un des battants.

Hortense n’avait pas prononcé une parole. Elle assistait non sans étonnement à cette suite d’effractions exécutées avec une véritable maîtrise. Il devina sa pensée et, se retournant, lui dit d’un ton sérieux :

— C’est un jeu d’enfant pour moi. J’ai été serrurier.

Elle lui saisit le bras tout en murmurant :

— Écoutez.

— Quoi ? fit-il.

Elle accentua son étreinte, exigeant le silence. Presque aussitôt, il murmura :

— En effet, c’est étrange.

— Écoutez… écoutez…, répéta Hortense stupéfaite. Oh ! est-ce possible ?

Ils entendaient, non loin d’eux, un bruit sec, le bruit d’un petit choc revenant à intervalles réguliers, et il leur suffit de prêter l’oreille avec attention pour reconnaître le tic-tac d’une horloge. Vraiment oui, c’était cela qui scandait le grand silence du salon obscur, c’était bien le tic-tac très lent, rythmé comme le battement d’un métronome, que produit un lourd balancier de cuivre. C’était cela. Et rien ne pouvait leur paraître plus impressionnant que la pulsation mesurée de ce petit mécanisme qui avait continué de vivre dans la mort du château… par quel miracle ? par quel phénomène inexplicable ?

— Pourtant, balbutia Hortense, qui n’osait élever la voix, pourtant personne n’est entré ?…

— Personne.

— Et il est inadmissible que cette horloge ait pu marcher pendant vingt ans sans être remontée ?

— Inadmissible.

— Alors ?

Serge Rénine ouvrit les trois fenêtres et en força les volets.

Ils se trouvaient bien dans un salon, et ce salon n’offrait pas la moindre trace de désordre. Les sièges étaient à leur place. Aucun des meubles ne manquait. Les gens qui l’habitaient, et qui en avaient fait la pièce la plus intime de leur demeure, étaient partis sans rien emporter, ni des livres qu’ils lisaient, ni des bibelots rangés sur les tables ou sur les consoles.

Rénine examina la vieille horloge de campagne, enfermée dans sa haute gaine sculptée qui laissait voir, par une vitre ovale, le disque du balancier. Il ouvrit. Les poids, pendus aux cordes, étaient au bout de leur course.

À ce moment, il y eut un déclic. L’horloge sonna huit fois, d’une voix grave que la jeune femme ne devait jamais oublier.

— Quel prodige ! murmura-t-elle.

— Un vrai prodige, en effet, déclara-t-il, car le mécanisme, très simple, ne permet guère qu’un mouvement d’une semaine.

— Et vous ne voyez rien de particulier ?

— Non, rien… ou du moins…

Il se pencha et, du fond de la gaine, il tira un tube de métal que les poids dissimulaient, et qu’il tourna vers le jour.

— Une longue-vue, dit-il pensivement… Pourquoi l’a-t-on cachée là ?… Et on l’a laissée dans toute sa longueur… C’est bizarre… Que signifie ?…

Une seconde fois, selon l’habitude, l’horloge se mit à sonner. Huit coups retentirent. Rénine referma la gaine, et, sans se dessaisir de la longue-vue, continua son inspection. Une large baie faisait communiquer le salon avec une pièce plus petite, sorte de fumoir, meublée elle aussi, mais où cependant il y avait une vitrine à fusils dont le râtelier était vide. Accroché au panneau voisin, un calendrier montrait une date : le 5 septembre.

— Ah ! s’écria Hortense confondue, la même date qu’aujourd’hui !… Ils ont arraché les feuilles de leur calendrier jusqu’au 5 septembre… Et c’est l’anniversaire de ce jour ! Quel hasard inouï !

— Inouï, prononça-t-il… c’est l’anniversaire de leur départ… il y a aujourd’hui vingt ans…

— Avouez, dit-elle, que tout cela est incompréhensible.

— Oui… évidemment… mais tout de même…

— Vous avez quelque idée ?…

Il répondit au bout de quelques secondes :

— Ce qui m’intrigue, c’est cette longue-vue cachée… jetée là, au dernier moment… À quoi servait-elle ? Des fenêtres du rez-de-chaussée, on ne voit que les arbres du jardin… et sans doute aussi de toutes les fenêtres… Nous sommes dans une vallée, sans le moindre horizon… Pour se servir de cet instrument, il fallait monter tout en haut… Voulez-vous que nous montions ?

Elle n’hésita pas. Le mystère qui se dégageait de toute l’aventure excitait si vivement sa curiosité qu’elle ne songeait qu’à suivre Rénine et à le seconder dans ses recherches.

Ils montèrent donc l’escalier principal et parvinrent au second étage, sur une plate-forme où s’amorçait l’escalier en spirale du belvédère.