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n’était plus poignant et plus tragique.

Elle s’était rassise, à bout de forces. Cependant, elle continuait à prononcer des mots inintelligibles, et ce n’est que peu à peu, en se penchant sur elle, que l’on put entendre :

— Je croyais qu’on allait crier autour de nous et m’arrêter… Rien. Cela s’était produit de telle façon et dans de telles conditions que personne n’avait rien vu. Bien plus, Jacques s’était redressé en même temps que moi, et voilà qu’il ne tombait pas ! Non, il ne tombait pas ! Lui que j’avais frappé, il restait debout ! De la terrasse où j’étais remontée, je l’aperçus. Il avait remis sa veste sur ses épaules, évidemment pour cacher sa blessure, et il s’éloignait sans vaciller… ou si peu que moi seule pouvais m’en rendre compte. Il causa même avec des amis qui jouaient aux cartes, puis il se dirigea vers sa cabine et disparut. Moi, au bout d’un moment, je rentrai. J’étais persuadée que tout cela n’était qu’un mauvais rêve… que je n’avais pas tué… ou que du moins la blessure était légère. Jacques allait sortir… J’en étais certaine. De mon balcon je surveillais… Si j’avais pu croire une seconde qu’il avait besoin d’assistance, j’aurais couru là-bas… Mais, vraiment, je n’ai pas su… je n’ai pas deviné… On parle de pressentiment… c’est faux. J’étais absolument calme, comme on l’est justement après un cauchemar dont le souvenir s’efface. Non, je vous le jure, je n’ai rien su… jusqu’à l’instant…

Elle s’interrompit. Les sanglots l’étouffaient.

Rénine acheva :

— Jusqu’à l’instant où l’on vint vous avertir, n’est-ce pas ?

Thérèse balbutia :

— Oui… C’est alors seulement que j’eus conscience de mon acte… et je sentis que je devenais folle et que j’allais crier à tous ces gens : « Mais c’est moi ! Ne cherchez pas. Voici le poignard… C’est moi la coupable. » Oui, j’allais crier cela, quand tout à coup je le vis, lui, mon pauvre Jacques… On l’apportait… Il avait une figure très paisible… très douce… Et, devant lui, je compris mon devoir… comme il avait compris le sien… Pour les enfants, il s’était tu. Je me tairai aussi. Coupables tous les deux du meurtre dont il était victime, l’un et l’autre nous devions tout faire pour que le crime ne retombât pas sur eux… Dans son agonie, il avait eu la vision claire de cela… il avait eu le courage inouï de marcher, de répondre à ceux qui l’interrogeaient, et de s’enfermer pour mourir. Il avait fait cela effaçant d’un coup toutes ses fautes, et, par là même, m’accordant son pardon, puisqu’il ne me dénonçait pas… et qu’il m’ordonnait de me taire… et de me défendre… contre tous… contre toi, surtout, Germaine.

Elle prononça ces dernières paroles avec plus de fermeté. Bouleversée d’abord par l’acte inconscient qu’elle avait commis en tuant son mari, elle retrouvait un peu de force en pensant à ce qu’il avait fait, lui, et en s’armant elle-même d’une pareille énergie. En face de l’intrigante dont la haine les avait conduits tous deux jusqu’à la mort et jusqu’au crime, elle serrait les poings, prête à la lutte, toute frémissante de volonté.

Elle ne bronchait pas, Germaine Astaing. Elle avait écouté sans un mot, avec un visage implacable dont l’expression prenait plus de dureté à mesure que les aveux de Thérèse devenaient plus précis. Aucune émotion ne semblait l’attendrir et aucun remords la pénétrer. Tout au plus, vers la fin, ses lèvres minces eurent-elles un léger sourire, comme si elle se fût réjouie de la façon dont les événements avaient tourné. Elle tenait sa proie.

Lentement, les yeux levés vers une glace, elle rajusta son chapeau et se mit de la poudre de riz. Puis elle marcha vers la porte.

Thérèse se précipita.

— Où vas-tu ?

— Où ça me plaît.

— Voir le juge d’instruction ?

— Probable.

— Tu ne passeras pas !

— Soit. Je l’attendrai ici.

— Et tu lui diras ?…

— Parbleu ! tout ce que tu as dit, tout ce que tu as eu la naïveté de me dire. Comment douterait-il ? Tu m’as donné toutes les explications.

Thérèse la saisit aux épaules.

— Oui, mais je lui en donnerai d’autres, en même temps, Germaine, et qui te concernent, toi. Si je suis perdue, tu le seras aussi.

— Tu ne peux rien contre moi.

— Je peux te dénoncer, montrer les lettres.

— Quelles lettres ?

— Celles où ma mort est résolue.

— Mensonges ! Thérèse. Tu sais bien que ce fameux complot contre toi n’existe que dans ton imagination. Ni Jacques ni moi ne voulions ta mort.

— Tu la voulais, toi. Tes lettres te condamnent.

— Mensonges. C’étaient des lettres d’une amie à un ami.

— Des lettres de maîtresse et de complice.

— Prouve-le.

— Elles sont là, dans le portefeuille de Jacques.

— Non.