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Elle pleurait de nouveau, prostrée dans un fauteuil, montrant elle aussi un visage vieilli et ravagé par la douleur, et, tout bas, sans colère, en petites phrases hachées, elle scanda :

— Voilà quatre ans qu’elle était sa maîtresse… Ce que j’ai souffert !… C’est elle-même qui m’a révélé leur liaison… par méchanceté… Elle me détestait plus encore qu’elle n’aimait Jacques… et, chaque jour, c’étaient de nouvelles blessures… des coups de téléphone où elle me parlait de ses rendez-vous… À force de me faire souffrir, elle espérait que je me tuerais… J’y ai pensé quelquefois, mais j’ai tenu bon, pour les enfants… Jacques faiblissait cependant. Elle exigeait de lui le divorce… et il s’y laissait aller peu à peu… dominé par elle et par son frère, qui est plus sournois qu’elle, mais aussi dangereux. Je sentais tout cela… Jacques devenait dur avec moi… Il n’avait pas le courage de partir, mais j’étais l’obstacle, et il m’en voulait… Mon Dieu, quelle torture !

— Il fallait lui rendre sa liberté, s’écria Germaine Astaing. On ne tue pas un homme parce qu’il veut divorcer.

Thérèse secoua la tête et répondit :

— Ce n’est pas parce qu’il voulait divorcer que je l’ai tué. S’il l’avait voulu réellement, il serait parti et que pouvais-je faire ? Mais tes plans avaient changé, Germaine, le divorce ne te suffisait pas, et c’est une autre chose que tu avais obtenue de lui, une autre chose bien plus grave que ton frère et toi aviez exigée… et à laquelle il avait consenti… par lâcheté… malgré lui…

— Que veux-tu dire ? balbutia Germaine… Quelle autre chose ?

— Ma mort.

— Tu mens ! s’écria Mme Astaing.

Thérèse ne haussa pas la voix. Elle ne fit aucun geste de haine ou d’indignation, et répéta simplement :

— Ma mort, Germaine. J’ai lu tes dernières lettres, six lettres de toi qu’il avait eu la folie d’oublier dans son portefeuille, six lettres où le mot terrible n’est pas écrit, mais où chaque ligne le laisse entrevoir. J’ai lu cela en tremblant ! Jacques en arriver là !… Pourtant, pas une seconde l’idée de le frapper, lui, ne m’est venue. Une femme comme moi, Germaine, ne tue pas volontairement… Si j’ai perdu la tête… c’est plus tard… par ta faute…

Elle tourna la tête du côté de Rénine, comme pour lui demander s’il n’y avait point péril à ce qu’elle parlât et divulguât la vérité.

— Soyez sans crainte, dit-il, je réponds de tout.

Elle passa sa main sur son front. L’horrible scène revivait en elle et la torturait… Germaine Astaing ne remuait pas, les bras croisés, les yeux troubles, tandis qu’Hortense Daniel attendait éperdument l’aveu du crime, et l’explication de l’impénétrable mystère.

— C’est plus tard, reprit-elle, et par ta faute, Germaine. J’avais remis le portefeuille dans le tiroir où il était caché, et, ce matin, je ne dis rien à Jacques… Je ne voulais pas lui dire que je savais… C’était trop affreux… Pourtant, il fallait se hâter… tes lettres annonçaient ton arrivée secrète, pour aujourd’hui… Je pensai d’abord à m’enfuir, à sauter dans le train… Machinalement, j’avais pris ce poignard pour me défendre… Mais quand Jacques et moi nous sommes venus sur la plage, j’étais résignée… Oui, j’acceptais de mourir… Que je meure, pensais-je, et que tout ce cauchemar finisse ! Seulement, pour mes enfants, je voulais que ma mort parût accidentelle et que Jacques n’en fût pas accusé. C’est pour cela que ton plan de promenade sur la falaise me convenait… Une chute du haut d’une falaise semble toute naturelle… Jacques me quitta donc pour aller dans sa cabine, d’où il devait plus tard te rejoindre aux Trois-Mathildes. En route, au-dessous de la terrasse, il laissa tomber la clef de cette cabine. Je descendis et me mis à chercher avec lui… Et c’est là… par ta faute… oui, Germaine, par ta faute. Le portefeuille de Jacques avait glissé de la poche de son veston sans qu’il s’en aperçût, et, en même temps que ce portefeuille, une photographie que je reconnus aussitôt… une photographie qui date de cette année et qui me représente avec mes deux enfants. Je la ramassai… et je vis… Tu sais bien ce que je vis, Germaine. Au lieu de moi, sur l’épreuve, c’était toi… Tu m’avais effacée et remplacée par toi, Germaine ! C’était ton visage. Un de tes bras enlaçait le cou de ma fille aînée et l’autre reposait sur tes genoux… C’était toi, Germaine, la femme de mon mari… toi, la future mère de mes enfants… toi, qui allais les élever… toi… toi !… Alors, j’ai perdu la tête. J’avais le poignard… Jacques était baissé… J’ai frappé…

Il n’y avait pas un mot de sa confession qui ne fût rigoureusement vrai. Ceux qui l’écoutaient en avaient l’impression profonde, et, pour Hortense et Rénine, rien