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LES HUIT COUPS
DE L’HORLOGE


par MAURICE LEBLANC


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Ces huit aventures me furent contées jadis par Arsène Lupin, qui les attribuait à l’un de ses amis, le prince Rénine. Pour moi, étant donné la façon dont elles sont conduites, les procédés, les gestes, le caractère même du personnage, il m’est impossible de ne pas confondre les deux amis l’un avec l’autre. Arsène Lupin est un fantaisiste aussi capable de renier certaines de ses aventures que de s’en accorder quelques-unes dont il ne fut pas le héros. Le lecteur jugera.

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I

Au sommet de la tour.


Hortense Daniel entr’ouvrit sa fenêtre et chuchota :

— Vous êtes là, Rossigny ?

— Je suis là, fit une voix qui montait des massifs entassés au pied du château.

Se penchant un peu, elle vit un homme assez gros qui levait vers elle une figure épaisse, rouge, encadrée d’un collier de barbe trop blonde.

— Eh bien ? dit-il.

— Eh bien ! hier soir, grande discussion avec mon oncle et ma tante. Ils refusent décidément de signer la transaction dont mon notaire leur avait envoyé le projet et de me rendre la dot que mon mari a dissipée avant son internement.

— Votre oncle, qui avait voulu ce mariage, est pourtant responsable, d’après les termes du contrat.

— N’importe. Il refuse.

— Alors ?

— Alors êtes-vous toujours résolu à m’enlever ? demanda-t-elle en riant.

— Plus que jamais.

— En tout bien tout honneur, ne l’oubliez pas !

— Tout ce que vous voulez. Vous savez bien que je suis fou de vous.

— C’est que, par malheur, je ne suis pas folle de vous.

— Je ne vous demande pas d’être folle de moi, mais simplement de m’aimer un peu.

— Un peu ? Vous êtes beaucoup trop exigeant.

— En ce cas, pourquoi m’avoir choisi ?

— Le hasard. Je m’ennuyais… Ma vie manquait d’imprévu… Alors je me risque… Tenez, voici mes bagages.

Elle laissa glisser d’énormes sacs de cuir que Rossigny reçut dans ses bras.

— Le sort en est jeté, murmura-t-elle. Allez m’attendre avec votre auto au carrefour de l’If. Moi, j’irai à cheval.

— Fichtre ! je ne peux pourtant pas enlever votre cheval.

— Il reviendra tout seul.

— Parfait !… Ah ! à propos…

— Qu’y a-t-il ?

— Qu’est-ce donc que ce prince Rénine qui est là depuis trois jours et que personne ne connaît ?

— Je ne sais pas. Mon oncle l’a rencontré à la chasse, chez des amis, et l’a invité.

— Vous lui plaisez beaucoup. Hier vous avez fait une grande promenade avec lui. C’est un homme qui ne me revient pas.

— Dans deux heures, j’aurai quitté le château en votre compagnie. C’est un scandale qui refroidira probablement Serge Rénine. Et puis assez causé. Nous n’avons pas de temps à perdre.

Durant quelques minutes, elle regarda le gros Rossigny qui, pliant sous le poids des sacs, s’éloignait à l’abri d’une allée déserte, puis elle referma la fenêtre.

Dehors, loin dans le parc, une fanfare de cors sonnait le réveil. La meute éclatait en aboiements furieux. C’était l’ouverture, ce matin-là, au château de La Marèze, où tous les ans, vers le début de septembre, le comte d’Aigleroche, grand chasseur devant l’Éternel, et la comtesse réunissaient quelques amis et les châtelains des environs.

Hortense acheva lentement sa toilette, revêtit une amazone qui dessinait sa taille souple, se coiffa d’un feutre dont le large bord encadrait son beau visage aux cheveux roux, et s’assit devant son secrétaire, où elle écrivit à son oncle, M. d’Aigleroche, une lettre d’adieu qui devait être remise le soir. Lettre difficile qu’elle recommença plusieurs fois et à laquelle, finalement, elle renonça.

— Je lui écrirai plus tard, se dit-elle, quand sa colère aura passé.

Et elle se rendit dans la haute salle à manger.

D’énormes bûches flambaient au creux de l’âtre. Des panoplies de fusils et de carabines ornaient les murs. De toutes parts, les invités affluaient et venaient serrer la main du comte d’Aigleroche, un de ces types de gentilhommes campagnards, lourds d’aspect, puissants d’encolure, qui ne vivent que pour la chasse. Debout devant la cheminée, un grand verre de fine champagne à la main, il trinquait.

Hortense l’embrassa distraitement.

— Comment ! mon oncle, vous, si sobre d’ordinaire…

— Bah ! dit-il, une fois l’an… on peut bien se permettre quelque excès…

— Ma tante vous grondera.