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Clémence en ressentit un profond chagrin. Elle ne parvenait pas à s’illusionner. Chaque jour, au contraire, se découvrait quelque tare nouvelle. Le développement du corps s’arrêtait. La peau du visage jaunit. En outre de mauvais instincts percèrent en lui. À plusieurs reprises, il la mordit violemment au sein, jusqu’à la faire saigner. Elle patienta longtemps. Puis elle dut le sevrer.

Alors elle éleva son fils au biberon, tandis qu’elle continuait de nourrir son frère et de le gorger de son lait réconfortant.

Gaston, lui, croissait en force et en santé. Entre les deux enfants la différence s’accentuait rapidement. Même à la mère, elle s’imposait, malgré la partialité avec laquelle elle eût voulu les juger. Elle laissait tomber son ouvrage et les considérait, tous deux enfermés dans leurs petites chaises à roulettes. Et une tristesse l’envahissait à comparer la vivacité de l’un, sa grâce, ses yeux clairs, ses lourdes joues roses, et l’engourdissement de l’autre, son aspect maladif, ses mornes prunelles où ne brillait aucune lueur.

Un jour Gaston balbutia : « Maman ». Elle l’empoigna, l’étreignit contre sa poitrine, et des larmes de joie se mêlaient à ses baisers. Le doux nom d’amour lui fondait le cœur. Elle le lui fit répéter, avide d’entendre cette bouche inhabile articuler les deux syllabes magiques. Et comme il s’y prêtait complaisamment, elle ne cessait de lui demander :

— Comment m’appelles-tu ?

Elle dirigea ses bégaiements. Elle lui apprit des mots. Et c’étaient de grands éclats de rire quand il composait quel-