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Tout de suite elle les fit passer pour jumeaux. Mais sous prétexte que sa santé ne lui permettait pas un double allaitement, elle garda Placide auprès d’elle et confia l’autre à une voisine.

La voisine tomba malade. Une seconde tentative ne réussit pas mieux. Le petit dépérissait. Inquiète, elle prit une résolution brusque. Elle apporta l’enfant chez elle et lui tendit le sein. Le malheureux s’y abreuva goulûment. Sa sœur tout émue, le regardait avec tendresse boire à la source de vie qui s’épanchait d’elle. Elle le berçait, elle le caressait, les mains douces, les bras protecteurs, l’âme maternelle, sans songer un instant à la bizarrerie de l’acte qu’elle commettait.

Et c’est ainsi qu’elle fut amenée à nourrir, en même temps que son fils, son propre frère.

Les deux poupons grossirent. Clémence n’établissait entre eux nulle distinction. Elle les aimait comme ses enfants, les enfants de sa chair et de son cœur. À tous deux pareillement ne donnait-elle point son lait, sa vie, ses pensées ?

Pour ne les jamais négliger, elle manifesta son intention de demeurer veuve. Elle gagnait de l’argent. L’existence s’annonçait donc bonne.

Mais vers dix-huit mois, Placide eut des convulsions. Elles se répétèrent. Les conséquences n’en purent être entièrement abolies. Il resta chétif, déjeté.