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Ces deux syllabes les bouleversèrent. Elles représentaient tout un monde inconnu, un monde de sensations et de voluptés incomparables, un monde dont l’accès jusqu’ici leur était interdit. Ils eurent l’espoir inconscient d’y pénétrer. Mais comment ? Quel charme ouvre les portes du temple ?

Instinctivement ils imitèrent leurs enfants. Machy prit les poses galantes de son fils. Comme lui il se penchait sur sa voisine, il mendiait son regard, il lui parlait à l’oreille et la caressait de son souffle. Berthe, comme sa fille, se renversait en des postures coquettes, se détirait, faisait à son compagnon l’aumône d’une œillade, et ricanait d’un rire pervers et irritant. Leurs mains aussi se frôlaient. Et ils tâchaient de donner à leurs yeux des expressions tendres.

Seulement, ils ignoraient les mots qu’il faut prononcer en ces circonstances. Leur cœur n’aurait pu les leur dicter. Et tout en mimant les gestes de ceux qui s’aiment, ils s’entretenaient de leurs querelles de ménage, ils discutaient sur la cuisine, sur le prix du charbon, du beurre et de la viande.

Un jour s’étant approchés de Paul et de Juliette, ils les entendirent causer. Et Paul disait :

— Vois-tu, Juliette, tu es ma femme, tu es ma femme comme papa et maman pour toute notre vie, tu habiteras avec moi et je travaillerai beaucoup.

Et Juliette répondait :

— Oui, je te le promets, Paul, on aurait beau me forcer, c’est toi que j’épouserai, j’ai une cousine comme ça qui a attendu à partir de huit ans.